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Mots de travers
6 avril 2009

#07 La mystérieuse petite vieille du marché.

Il y a de ces gens que l'on rencontre, le plus souvent croise. Des gens... bizarres.

 

 

 

Je ne parle pas de ces gens que l'on côtoie au quotidien, qui sont proches de nous, dont la bizarrerie nous apparaît comme habituelle et bien moins savoureuse.
Non, je parle des énergumènes qui ne font souvent qu'une apparition soudaine, et une disparition toute aussi soudaine. Qui produisent un choc d'inattendu, une sensation d'irréalité qui brise la routine. On a d'ailleurs souvent du mal à intégrer ce qui vient de se passer, n'arrivant tout simplement à l'inscrire dans une suite logique, qui prenne un sens en accord avec une trame narrative, une suite d'événement somme toute assez attendus et... conventionnels.

 

 

                Par exemple, je marchais il y a peu de temps avec un ami et ma copine dans le vieux lyon, quartier de saint-jean, déambulant paisiblement entre les hautes façades ocres italiennes, me croyant en bord de mer. Nous allions réserver une table au restaurant.
Et subitement, surgie de nulle part, une femme d'une quarantaine bien entamée, d'apparence saine d'esprit, nous interrompt au beau milieu de notre discussion tranquille :

 

« - Un lézard, deux lézards, trois lézards... »

 

dit-elle de manière très intelligible en passant à côté de nous, nous pointant du doigt comme si elle comptait ses moutons avant de les rentrer à l'étable.

 

J'ai mis longtemps à m'arrêter de rire. C'était tellement incongru. Je répétais à marie :

 

« - Mais c'est incroyable, mais t'as vu ? Mais pourquoi... que ? Comment ? Des lé-zards ??? » (avec une inflexion de la voix sur le « zard »)

 

J'étais comme un gosse qui voit le père noël.

 

 

                 Il y a une vieille (une personne d'un âge avancé), à besançon, que je n'arrête pas de croiser, toujours au même endroit, toujours le même jour ou presque. Presque, parce qu'il m'arrive de la croiser dans d'autres conditions que celles dont je vais vous parler, mais elle ne s'arrête pas dans ces cas-là.
C'est le dimanche matin, quand les boulangeries sont fermées et que je vais chercher du pain au marché, que je croise, à tous les coups-mais à tous les coups-cette petite vieille tout droit sortie de l'enfer. Elle a un physique très particulier.
Elle est courte sur pattes, voûtée et traîne un cabas à carreaux. Jusque-là, vous allez me dire, rien de bien surprenant et de dérogeant au stéréotype de la petite vieille qui fait son marché. Mais ne parlez pas trop vite.
Ce qu'il y a de particulièrement remarquable, c'est son expression. Sur ses traits se lit une profonde apathie, quelque chose d'assez grotesque qui me fait indéniablement penser à du chewing-gum. On la dirait possédée (au sens démoniaque du terme) d'un désintérêt irrémédiable pour tout ce qui se passe autour d'elle. Elle a le pas lourd, traînant, d'un ours, mais sans l'énergie. Elle n'est pas flasque, elle a juste l'air inanimée.
Aaah, elle vaut des points, celle-là.
Mais n'allez pas croire que je me moque, au contraire. Je lui voue, comme à tout phénomène piquant ma curiosité, un respect très simple, et un intérêt, celui de l'amateur face à une nouveauté.
Ce qui est marrant, c'est quand elle me voit. On croirait voir passer une petite étincelle dans ses yeux, très rapidement, et elle s'anime brusquement, mais discrètement, juste le temps de me poser cette question, toujours la même :

 

« - Vous n'auriez pas deux euros ? »

 

et toujours de la même manière : (je vais essayer de retranscrire le plus fidèlement possible)

 

« - Zoooriez paas deuuux euuuuuro' ? »

 

avec un brusque arrêt sur le « o » de « euros » et un prolongement particulier sur les « eu », autant dire un fort accent franc-comtois.

 

Alors, moi, la première fois, je me suis dit, wahou ! deux dollars ! C'est pas rien, quand même ! Donc je lui répond sur un ton neutre :

 

« - Non, désolé. »

 

et elle :

 

« - Aaaaah bon. »

 

et elle a repris en un clin d'oeil le même air léthargique, et de la même démarche congelée, elle s'en est retournée, comme déçue, à ses préoccupations sûrement philo-théologiques.

 

Et depuis, à chaque fois que je vais acheter mon pain le dimanche matin à besançon, je croise la petite vieille. Et à chaque fois, elle me demande deux euros. Et à chaque fois, je lui répond non, désolé.
Je me demande ce qui se arriverait si je lui donnais. J'ai un peu peur de briser le cycle.
Qui sait ce qui pourrait bien se passer ? Est-ce qu'elle se transformerait en fée magnifique, rutilante, et me remercierait pour ma pureté d'âme ? Est-ce qu'elle réaliserait trois de mes voeux les plus chers ? Est-ce qu'elle resterait elle-même, me dirait à peine merci et continuerait sa route comme si rien ne s'était passé ? Et si je continue comme ça, à répondre « non, désolé » ? Est-ce qu'elle ne va pas un jour me sauter dessus avec une lame longue comme un fémur pour me transpercer la peau en criant :

 

« - ALORS COMME CA T'A PAS DEUX EUROS HEIN ? HEIN ? C'EST BIEN CE QUE T'ALLAIS ME DIRE HEIN ?!! »

 

Faut pas croire, c'est dangereux les petites vieilles au regard torve, malgré l'expression atone dans les yeux, ça cache bien son jeux...
Sans rire, c'est quand même bizarre, quand on y pense. Pourquoi moi ? Pourquoi toujours la même question ? Comment elle fait pour me reconnaître (je vous assure, je ne la connais pas !), parce qu'elle doit bien me reconnaître d'une manière ou d'une autre, pour me répéter toujours la même chose. Et si c'était un message codé inconsciemment ?
Qu'est-ce qu'elle peut bien vouloir me dire à travers « v'z'oriez pas deux euros ? ».
Et quand on y regarde de plus près, cette phrase a des sonorités attachantes, une structure en accordéon (loin d'être un palindrome, mais tout de même) avec un début en « o », une fin en « o », deux « eu » qui s'enchaîne en traîîînant en milieu de phrase, ce qui donne une facilité de mémorisation et de prononciation assez onomatopoétique, élastique, qui donne comme une matière à la phrase. Elle est rythmée. D'un rythme faible et très mou.

 

Ce qui est marrant, c'est que je ne me suis absolument pas formalisé de cette approche brutale et peu civilisée les premières fois, contrairement à la femme aux lézards qui m'a choqué. J'ai continué ce que j'étais en train de faire en passant très rapidement là-dessus, ne m'attardant pas sur un événement qui n'a pas heurté ma réalité.
Ce n'est que plus tard que je me suis fait la remarque.

 

Cette anecdote me semble significative, mais je ne sais pas exactement de quoi.

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