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Mots de travers
22 janvier 2009

#04 ce n'est pas parce qu'on ne va pas loin qu'on ne va pas loin...

Derrière la porte, dans le couloir au parquet zébré, il est 8h30 et le voisin s'en va. Ce n'est pas le célibataire à la mezzanine dont la douche sifflote autour de 7h. Ce n'est pas l'homme d'affaire, à la drôle de mine dont le lit grince du lundi au jeudi. C'est le pas du voisin trentenaire, celui qui a fait médecine. Il est beau dans son long manteau. Ses talons claquent, il est beau mais il est en retard. J'imagine son trousseau de clé, que je n'ai jamais vu mais que j'entends souvent. Je l'imagine comme celui des mâtons tellement les clés qui s'entrechoquent ont l'air nombreuses. Quand il verrouille sa porte, j'entends un oiseau. Deux coups de sifflets, nets et rapides. J'imaginais un moineau fidèle volant dans son entrée.

En le croisant dans l'ascenseur la semaine dernière, il m'a dit que c'était son alarme, et non pas un oiseau, qui faisait ce bruit. Le mystère avait duré un an, j'étais déçue.

Le voisin à l'oiseau n'était plus.

J'éteins la radio et je m'en vais aussi. J'ai dans la bouche et un peu sur mon pull le goût ferrugineux du lady grey, mélangé au dentifrice. Mon bonnet enfoncé jusqu'aux yeux ne me gratte pas le front, mon écharpe orange, tricotée de grosses mailles, me gratte le menton.

Quand j'appuie sur le bouton de l'ascenseur, il fait un bruit d'aspiration puissante, de cliquetis mécanique, et de propulsion spatiale. Je n'ai pas peur. En attendant je regarde par la fenêtre de la cage d'escalier qui donne sur les toits de l'immeuble. Elle est verrouillée par un cadenas. J'ai déjà juré, que trépasse si je faillis, que je le crochèterai, ce cadenas. Pour l'instant je me contente de caresser le métal, froid de la nuit en particulier et du temps en général.

Dans l'ascenseur, il y a écrit au crayon gris, en tout petit, depuis une éternité: « Sophie le putois ».

J'aime bien.

ça sent la cigarette du voisin au trousseau, et un peu son parfum.

J'aime bien.

Dehors la rue est égale à elle même. Les étudiants de l'école de photo, avec des flashs plein les yeux écrasent leurs mégots dans une boîte Bonduelle. Le papy de la rue d'Auvergne marche à son rythme, et c'est bien ça qui le rend intéressant.

Je presse un peu le pas au moment où je tourne à l'angle de la quincaillerie qui est fermée « pour cause d'inventaire » depuis déjà un certain temps. Le monsieur était vieux, et ceci expliquant cela, il doit y avoir bataille de légataire.

Qu'on me pardonne si jamais je l'enterre plus tôt que nécessaire.

Quelqu'un a fendillé la vitrine du magasin de bonbons, elle est comme mordillée.  Quelqu'un a perdu un gant esseulé entouré de poils. Tous les matins à la même heure, le gros et grand chien blanc qui attend loyalement son petit déjeuner, se soulage sans émoi sur le bord du trottoir. Je passe bien trop vite pour sentir quoique ce soit.

Le jeune qui met ses cheveux en arrière et qui marche un peu comme ça, roule sa roulée, et roule des mécaniques, juste un peu.

La vitrine de la boulangerie Florentin de la rue Franklin me plaît. Il fait tellement froid dehors et tellement chaud dedans que la buée l'isole du monde extérieur. Des rigoles de gouttes de rosée dégringolent tout le long de la matinée. La boulangère, dont le crâne est orné d'une grande natte blonde, a bien une tête de boulangère et vend ses croissants comme il se doit. La vieille dame devant moi, qui a elle aussi bien une tête de vieille dame, je veux dire authentique, n'en finit plus d'hésiter.

Entre les pavés, sous mes pieds, de la mousse timide reste à ras du sol. Des ouvriers en ont soulevé quelques uns pour ausculter les tuyaux, et j'ai bien regardé, je n'ai pas vu la plage.

C'est bientôt le pont, et dans le ciel rose les mouettes valsent et plongent. Je me méfie un peu de ces oiseaux là. Je me demande quelle odeur ça a, un oiseau des villes.

Est ce que ça sent comme les oiseaux des champs?

Je mords dans mon croissant, j'ai des miettes sur mes gants, et sûrement quelques unes coincées entre mes dents. Mystère.

Le pont est givré, les barrières vertes sont recouvertes de blanc et les montagnes au loin, derrière le tram et le deuxième pont sont presque invisibles. Le sol mauve foncé glisse un peu, cependant pas assez pour s'amuser vraiment. Ça sent le vent et un peu la pollution. Tout en passant, le nez dans mon écharpe, je regarde sévèrement les automobilistes pour qu'ils comprennent, vous savez, qu'il faut savoir se servir de ses pieds.

La lumière grandissante fait plisser un peu les yeux. Mais c'est juste une image.

Au feu, il y a toujours ce monsieur qui dit bonjour aux gens contre de l'argent. Du haut de sa canne et de ses baskets trop grandes il zigzague aussi vite que son grand âge le lui permet. Il frappe deux petits coups d'oiseau, de son index replié contre les vitres des voitures. Je l'ai observé. Il fait un petit coucou, courbe la tête en avant, il dit bonjour très poliment et attend ce qui vient. Souvent ça ne vient pas.

J'ai traversé, j'arrive. Ça sent l'ordi qui chauffe et le papier journal de l'autre côté du Rhône.

L'encre fraîche déteint un peu sur mes doigts.j'époussette les miettes.

Fin du trajet.


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Commentaires
M
si un jour tu vois un bonnet rouge qui ne gratte pas se balader avec une écharpe orange qui gratte avec du croissant entre les dents, sache que c'est moi. viens me dire bonjour!
L
Je ne me lasse pas de te relire ! Et c'est vrai que ce n'est pas la peine d'aller bien loin pour aller loin ... Il faudrait s'émerveiller bien plus de ces merveilles ordinaires.
N
Nous fréquentons la même boulangerie<br /> Nous connaissons les mêmes feux, le même vieux monsieur, empruntons le même pont<br /> Mais mon trajet commence un peu après le tien<br /> Voilà, c'est tout :)
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