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Mots de travers
11 mai 2009

#09-10 Il est tôt...

"Est-ce que les personnages des livres prennent vie, quelque part, et qu'est-ce qu'ils deviennent quand on les oublie ?"

Elle se tient debout, les deux mains sur la barre, front à la vitre. J’étais au bord de la manquer, plongée dans mes pensées. Mais, elle, le regard dans les rails, l’air hagard, déraille. Mais elle, ses hanches de sérail, ses yeux qui s’éraillent, elle m’a accroché, elle me tenaille. Un peu ébouriffée, le visage marquée, les yeux cernés. L’air cernée. Mais pas prête à abandonner. La poitrine se fait discrète sous le coton rouge froissé et un jeune dos un peu voûté, qui fut pourtant un jour voué au velouté. Désavoué ? Envoûtant. Dévoué. Laide diraient certains. Mais. Il y a ces lèvres écorchées, écarquillées entre le désir d’embrasser et la nécessité de mordre. Les cils farouches, les sourcils font mouche et la vie, au milieu, qui se bat comme elle peut. Les pieds comme des pages cornées, s’agrippent au sol. On pourrait tout lire dans son ventre aux milles cicatrices. On pourrait tout lire, mais je détourne les yeux, par pudeur peut-être parce que je sais bien qu’elle en aura besoin, de son ventre, pour faire face. Alors je me contente de sa lumière, de ses épaules incarnées, statuette terre-mèr-e, au souffle brûlant. Oui, la terre, rouge et aride, et la mer ronde et fluide, le feu, vorace et torride, et le vent, vif et apatride. Elémentaire.  Son cri intérieur me transperce la gorge. Elle m’entraîne dans les limbes, me nimbe de larmes. Je ne peux m’empêcher de la regarder. Il est tôt, Antigone prend le métro, et personne ne l’a remarquée.

Elle était pale, opale, boréale. Sont un peu comme les fées, les personnages de livre. Ils ont besoin pour vivre qu’on continue à croire un peu en eux. Qu’on n’oublie pas d’apprendre à les reconnaître. Ou bien ils s’évaporent A quoi bon s’échiner dans les pages si, sitôt le livre fermé, on les désavoue, si on arrive pas à leur faire confiance assez pour les rencontrer à tous les coins de nos vies. Ces héros ordinaires, ces géants fragiles, ces rôles en devenir, ou en déclin. Humains avant tout. Se voir confirmé dans un regard. Arrêter de se sentir disparaître. Je ne veux pas qu’elle s’évapore, je la regarde de toutes mes forces, priant presque, que quelqu’un fasse de même, que ses joues se colorent à nouveau. Que l’énergie revienne dans ses bras. Elle m’a donné de la force. Mieux, de la vie. Et je ne suis pas la seule. Comment lui rendre la pareille ? Je reviens le lendemain, avec un coquelicot. Je lui tends, elle sourit, étonnée. Son regard triste brille, toujours chenille. Je crois en vous, moi, disaient les plis au coin de mes yeux. Je crois en vous, moi, et je vous lis et vous relis à haute voix. On est plein dans mon cas. Je vous lis et vous relis, je vous vois, vous ne mourrez pas une seconde fois.

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Commentaires
L
... J'aurais beaucoup beaucoup à dire, parce que j'aime énormément tes mots, tes expressions, tes images, je suis bouleversée... et c'est une question qui me tient tellement à cœur, mine de rien. Merci, merci, merci pour ta réponse, ta voie/x.
L
et qui fait frissonner, aussi.
M
ça, c'est un texte qui fait réfléchir...
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