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Mots de travers
22 mars 2009

# 06 « -Mon marque-page ? Quel marque-page ? »

un homme distrait.

Une histoire courte originale de Kepekignot M.

« Toute histoire se situe quelque part entre réalité et fiction »

(Chloé Crivin, membre à titre posthume de l'académie française pour service rendu à l'avocat Bulaire)

                   Perdre mon marque-page, ça m'arrive tout le temps.
                   Vous aller comprendre.


        Ce matin, par exemple. Je me lève, la tête fourrée dans un endroit sombre et étroit que je ne citerai pas, je me poste comme d'habitude au bord du lit, et essaie d'ouvrir les paupières :

Paupières : « - NoooOOooon !

Moi : - Pourquoi paaaaaas ?

Paupières : - Quand bien mêêêême !

Moi : - Peut-êêêêtre! »

          Après ce dialogue insolite, elles consentent à laisser pénétrer la lumière. Je regarde ma petite liste posée sur mon bureau et  à moitié dissimulée sous une pile de feuilles et autres nuisibles divers. Au programme :

-Ramener le livre (harry potter ouuuh la honte !) à noémie avant qu'elle ne fasse appel au FBI. Suivant.

-Envoyer un cv par e-mail si je veux trouver du travail un jour ou l'autre.
Suivant.
-Bosser les cours.

Bosser les cours ? Je pouffe. Quelle utopie. Mille contre un que ce sera pas fait à la fin de la journée, quand un texte de plus sera postée sur un blog. Je devrais attaquer le site internet pour détournement de mineur de fond en plein exercice de ses disfonctions, histoire de me faire de la maille.
Suivant.

-Ne pas oublier de faire réparer le volet, histoire de ne pas rester dans l'obscurité toute la journée alors qu'un soleil d'aplomb brille dehors.
Suivant.
-Faire la teuf.

Tiens. Bonne idée...

        Ceci étant, il m'arrive de me questionner sur la nature de l'influx nerveux qui me souffle de marquer dans ce qui me sert d'agenda de ne pas oublier de faire la fête.
Parce qu'attendez. Je ne dis pas que ça semble saugrenu pour moi, non non, je cerne absolument ce qui justifie pour moi cet acte extrémiste ; par contre, je conçois sans difficulté qu'une personne non avertie (TOI, ingénu lecteur !) aie du mal à suivre, ou plutôt à courir après le raisonnement. Et oui, ami lecteur et/ou inculte, je soutiens avec véhémence la nécessité de cette mesure d'urgence.

Je m'explique :

euh...

comment dire...

j'oublie tout. Sauf une chose : oublier. Le jour où ça m'arrivera, je crois que j'aurai du mal à savoir où j'en suis. Si je me souviens de comme c'était avant. Bref.

          Je vais chercher du pain. Je me lève, vais à la recherche de mon porte-feuille. Où est-il encore allé se fourrer ? Je le trouve et le pose sur mon lit, le temps de chercher mon écharpe. Puis, le temps de la trouver, je ne sais plus où j'ai posé mon portefeuille. Je le cherche, le trouve, met mes chaussures et vais à la boulangerie. Je reviens à l'appartement, m'installe pour petit-déjeuner, oublie de mettre le chauffage, me gèle, oublie de l'arrêter, cuit, oublie mes toats dans le grille-pain, mon eau qui boue, bref.
Une fois prêt (et je vous épargne les détails) je prend mes affaires et sort sur le palier, entre dans l'ascenseur.
Alors là, âmes sensibles s'abstenir, c'est du lourd.
Je reviens en moyenne entre une à cinq fois chez moi chercher quelque chose dans l'espace qui se situe entre ma porte et la porte du bas.

         Je sors de chez moi, m'arrête sur le palier, me rappelle qu'il me faut un bouquin pour lire dans l'intervalle de mes cours, reviens, en prend un, m'arrête une deuxième fois sur le palier, retourne chercher mon mp3 pour les transports en commun, reviens, appuie sur le bouton d'appel de l'ascenseur, monte dedans... ressort en un bond ! Me souvenant que j'ai oublié ce que je devais faire dans la journée. J'ai oublié de préciser que la porte ne possède pas de poignée, ce qui m'oblige à la rouvrir avec ma clé à chaque fois. Je suis dans ma chambre et déplace dans tous les sens les piles de parasites qui s'installent sur tout bureau, sans parvenir à remettre la main au cul de ce satané tipapier (pardonnez mon langage quelque peu à châtrer, (! Pardon !), à châtier), réalisant non sans une certaine dérision que j'ai oublié ce que j'ai fait de tout ce que je ne devais pas oublié de faire. Affolé par la montre qui me hurle mon retard à chaque seconde qui fuit (fwit !), je finis par brandir ladite liste, auréolé de gloire après l'accomplissement de cet exploit, je le concède, hors du commun. Je la fourre dans ma poche et me rue dans l'ascenseur, m'arrêtant en chemin pour revenir chercher mon écharpe que j'avais posée sur mon djembé (dans le hall d'entrée) parce que j'avais trop chaud. Et ouais. J'suis un gars comme ça, moi.
         Une fois dans l'ascenseur, que je me jure de ne quitter sous aucun prétexte, ou en tout cas surtout pas celui de retourner chercher quelque chose, je sors ma liste pour la relire, parce que je viens de me rappeler que j'ai peut-être oublié que j'avais oublié quelque chose. De quoi je devais me rappeler déjà ?
Le livre de noémie !
        J'expérimente alors un de ces moments de grande solitude, qui mettent en exergue la débilité des gestes du quotidien. Car  pendant les instants qui s'écoulent entre le moment où on se trouve bêtement à attendre que  l'ascenseur nous amène au rez-de-chaussée et  le moment où on pourra de nouveau agir et appuyer sur l'interrupteur du sixième, il s'écoule un laps de temps très particulier : c'est l'univers parallèle de la futilité. Un espèce de paradoxe temporel qui nous oblige à avancer dans la distance alors que l'on pourrait rejoindre directement le segment du retour en arrière. En pratique, ça donne une distanciation par rapport à nous-même pendant l'éllipse, comme un détachement de l'esprit qui s'auto-observe par désoeuvrement et qui se trouve très con.
Bref.
        L'ascenseur remonte, me redépose au sixième, je rouvre la porte à l'aide de ma clé et je chope ce satané bouquin. Puis prend le métro, et oublitère mon ticket.

       Arrivé à la fac, je rejoins elie, en retard lui aussi, qui me dit :

« - Y'a Noémie qu'a fait la bringue hier soir, si ça se trouve elle a oublié de se lever ce matin ! »

Et là je lui dit :

« - Elle peut oublier son bouquin alors ! »

Et là je me dis :

« Nan, oublie. Elle oubliera pas. »

Bref.

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Commentaires
B
Aaaah maintenant je sais que je ne suis pas la seule, bravo, bravo, merci ! Voici mon passage préféré ; c'est de "J'expérimente..." à "...et qui se trouve très con. Bref." (surtout le "Bref.") J'ignorais jusqu'ici qu'il y avait des mots à mettre là-dessus, mais je suis contente de l'avoir découvert, d'autant plus qu'ils sont bien mis...
K
hehe. content !
L
Ahahahaha ! (je préfère ça à lol, c'est plus parlant) Merci M. Kepek pour cet éclat de rire matinal ! Je commence à mieux te cerner ... <br /> Charlotte
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